Une approche critique de la microfinance

Alors qu’en 1974 la famine ravage son pays, le Bangladesh, l’idée de prêter de l’argent aux pauvres émerge dans la tête de Muhammad Yunus. De ce fait, il fonde en 1976 la Grameen Bank, une des premières banques de microcrédit, afin d’aider le peuple bangladais. Aujourd’hui, la banque est toujours en activité et compte plus de neuf millions de membres – majoritairement féminins. Le modèle économique et social de cette banque réussit à prouver que les pauvres remboursent l’argent prêté 95 % du temps s’il est répliqué. Par ailleurs, les personnes sortent de la pauvreté s’ils sont bien accompagnés et conseillés dans 50 % des cas. C’est dans un bassin de population dense et majoritairement pauvre, avec une entreprise sans but lucratif, mais financièrement indépendante, et avec une réelle volonté de sortir les gens de la pauvreté que la Grameen Bank a pu s’épanouir.

La microfinance s’est développée à partir de la réussite de la Grameen Bank. Cependant, le modèle d’entreprise sociale proposé par Muhammad Yunus n’est pas ou très peu répliqué. En effet, le microcrédit peut aujourd’hui être synonyme de taux d’intérêt abusifs et de surendettement. Pour certaines institutions négligentes, le crédit doit être rentable autant que possible afin de satisfaire les actionnaires. À cette fin, elles rendent la procédure quasi-instantanée via des plateformes en ligne si bien que l’emprunteur ne prend plus conscience qu’il s’endette. C’est en raison de cette immédiateté qu’il existe un risque que l’emprunteur développe une addiction à ces emprunts anodins. En accompagnant le gros volume de microcrédits avec des intérêts élevés, l’institution peut y trouver un modèle économique très rentable. D’un autre côté, certaines ONG ont lancé leur propre plateforme de microcrédit basé sur des donations. Le problème rencontré dans leur cas est qu’une ONG ne peut pas prêter de l’argent qu’elle n’a pas effectivement reçu si bien qu’elle est tributaire de ses donateurs si elle n’a pas d’indépendance financière.

Dans les pays en développement, les personnes qui ont un salaire supérieur au seuil de pauvreté ne sont pas pour autant autorisés par les institutions bancaires à ouvrir un compte. C’est ce qu’on appelle l’exclusion financière. La plus grande, et peut-être l’unique victoire de la microfinance aujourd’hui est d’avoir sorti des millions de personnes de cette impasse. Comme beaucoup d’autres activités, la microfinance a été sujette au triptyque « léchage – lâchage – lynchage ». En 2006, lorsque le prix Nobel de la Paix a été attribué à Muhammad Yunus, la microfinance été présentée par les médias comme la solution finale à la pauvreté. Par la suite, certaines pratiques isolées et condamnables ont jeté l’opprobre sur toute l’industrie qui a été ensuite vilipendée par la presse. Évidemment, la réalité est finalement entre tous ces excès : la microfinance n’est ni la panacée que l’on aurait espérée, ni le diable qu’on a voulu en faire. C’est simplement un outil d’aide au développement, qui – lorsqu’il est utilisé correctement, par les bonnes personnes et dans le cadre adéquat – permet d’accélérer la sortie de la pauvreté.

Sources:

  • Bertrand Gacon, CEO d’Impaakt, entretien personnel, 21.09.2019.
  • Muhammad Yunus, Vers un nouveau capitalisme, Ed. J.-C. Lattès, 2008.
  •  (en) Peprah J. A., and Koomson I. (2014). Addiction to Microcredit: An Obstacle to Social and Financial Mobility.
  • Rosenberg R., Gonzalez A. et Narain S, Les taux de microcrédit facturés aux pauvres sont-ils abusifs ?, Étude spéciale 15, Washington, D.C. : CGAP, 2009.
  • (en) « Monthly Reports » https://www.grameen-info.org/monthly-reports/, sur grameen-info (consulté le 19.09.2019).

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